Sélection des bibliothécaires – novembre 2024

Rodin – Bourdelle. Corps à corps (catalogue d’exposition, Paris, musée Bourdelle, 2 octobre 2024 – 2 février 2025), Ophélie Ferlier-Bouat et Jérôme Godeau (dir.), Paris, Paris-Musées et musée Bourdelle, 2024.

Ce catalogue d’exposition apporte un éclairage abondamment documenté sur la relation et les parcours, mis en regard, de Rodin et de Bourdelle. Les deux sculpteurs partagent un attrait pour le travail de la matière, en particulier la taille du marbre. Ils tendent l’un et l’autre vers une esthétique de l’inachevé, le goût du fragment (main, torse). Ils se révèlent également tous deux collectionneurs avertis de sculptures antiques et d’objets d’art. Admiratif des premières réalisations de Bourdelle, Rodin lui demande de rejoindre son atelier en tant que praticien. Pendant quinze ans, de 1893 à 1908, Bourdelle se nourrit du maître.
Vers la fin de leur collaboration, des divergences esthétiques s’accroissent. Les deux hommes se brouillent lors de la longue gestation de la Tête d’Apollon, prétexte d’une émancipation pour Bourdelle alors en proie à un combat intérieur qui le pousse à affirmer véritablement ses partis pris esthétiques.       V. P.

Paul Sérusier et Maurice Denis, Correspondance. De la « Définition du Néo-traditionnisme » à l’ABC de la peinture (1889-1943), Claudie Maynard et Fabienne Stahl (éd.), Lyon, Fage éditions, 2024.

Cette correspondance entre Paul Sérusier et Maurice Denis, riche de 167 lettres pour la plupart inédites, documente une amitié qui court de 1889 à 1927 ; elle se poursuit après la mort de Sérusier en intégrant de nombreux échanges entre Marguerite Sérusier, sa veuve, et Maurice Denis. Le volume répond à des lacunes dans les publications existantes : alors que l’importante correspondance de Maurice Denis n’est que très partiellement publiée, Paul Sérusier, que l’historiographie associe surtout et peut-être un peu trop exclusivement à Gauguin, a laissé bien moins de traces écrites. Ces échanges reflètent la fraternité qui unit les deux hommes mais nous sont également de précieux témoignages sur leurs vies, leurs liens avec les milieux artistiques de leur temps ainsi que leurs visions esthétiques.
L’édition, d’un soin scientifique impeccable, contient une introduction détaillée, un index, des notes et références bibliographiques abondantes ainsi que de nombreux fac-similés et illustrations qui la rendent particulièrement plaisante. Enfin, on pourra y lire en annexes deux textes de Sérusier, « Notes sur les mesures dans les arts plastiques » et « Notes sur les origines du symbolisme au XIX^e siècle ».       A. B.

Chemins de fer, chemins croisés. Victor Horta, Henry Van de Velde (catalogue d’exposition, Schaerbeek, Train World, 18 septembre 2024 – 31 août 2025), Françoise Aubry et Anne Van Loo, Gand, Snoeck, 2024.

Cet ouvrage, publié à l’occasion de l’exposition « Dessine-moi un train » organisée à Train World du 18 septembre 2024 au 31 août 2025, est consacré aux architectes Victor Horta et Henry Van de Velde, figures majeures de l’Art nouveau en Belgique qui ont tous deux travaillé pour les chemins de fer de leur pays. Victor Horta est à l’origine du projet de gare de Bruxelles-Central, qui l’occupera pendant plus de trente ans et dont il ne verra pas la fin.
Basé sur de nombreuses archives telles que des dessins et plans d’architecture, des photographies et des lettres, cet ouvrage étudie son travail pour mener à bien la construction de cette gare qui a connu pas moins de trois projets différents. La modernisation de l’intérieur des trains de la SNCB, quant à elle, fut assurée par Henry Van de Velde qui en a révolutionné le confort ; il a aussi collaboré à la conception de plusieurs gares qui ont marqué le paysage ferroviaire de la Belgique.       J. L. G.

Alice Ensabella, Nathalie Moureau, Agnès Penot, Léa Saint-Raymond et Julie Verlaine, Histoire des galeries d’art en France du XIX^e au XXI^e siècle, Paris, Flammarion, 2024.

Le marché de l’art a connu une révolution depuis le début du XIX^e siècle et les relations entre les créateurs et les collectionneurs se sont complètement transformées, dans le cadre d’une marchandisation toujours plus importante. Cet ouvrage se propose, par une synthèse inédite, de retracer l’histoire des galeries en France du XIX^e siècle à nos jours. Des vendeurs de curiosités aux galeristes d’aujourd’hui, le marché de l’art est un miroir de son époque qui s’est métamorphosé en s’adaptant constamment aux changements sociétaux et aux artistes qui ont accompagné ces transformations par leurs créations, ainsi qu’aux collectionneurs qui les ont suivis.
Écrit par des historiennes, historiennes de l’art et économistes, cet ouvrage composé de cinq parties chronologiques délimite une cartographie historique, spatiale et sociétale du marché de l’art et des galeries en France telle une toile qui s’étend petit à petit du territoire national vers le monde entier, dans un contexte d’industrialisation progressive, tout en soulignant les faiblesses mises en évidence par la globalisation d’un marché très spécifique.       L. B.

Arte y transformaciones sociales en España, 1885-1910 (catalogue d’exposition, Madrid, musée du Prado, 21 mai – 22 septembre 2024), Javier Barón (dir.), Madrid, musée du Prado, 2024.

Ce catalogue conséquent, publié à l’occasion d’une exposition qui s’est tenue au musée du Prado en 2024 et fruit du travail de nombreux contributeurs, a été dirigé par Javier Barón, commissaire de l’exposition et conservateur spécialiste de la peinture du XIX^e siècle. Il explore le basculement de l’Espagne dans la modernité entre 1885 et 1910, à travers le témoignage qu’en donnent les artistes de l’époque. Les remous de la modernisation, qui connaissent alors une accélération majeure en Europe, sont embrassés suivant des subdivisions thématiques consacrées aux mutations à l’œuvre dans l’ensemble de la société (monde du travail et des luttes sociales, prostitution, éducation, condition féminine, rapport à la religion et à la mort, etc.).
L’exposition montre combien ce bouleversement d’ampleur se reflète dans toutes les techniques artistiques, au premier chef la peinture du courant réaliste et social espagnol mais tout autant la sculpture, les arts graphiques et la photographie, largement traités dans l’ouvrage. Un grand nombre d’œuvres et d’artistes ici mis à l’honneur ont été très peu considérés jusqu’ici. Le catalogue, pourvu d’un index et d’une bibliographie abondante, leur consacre des notices approfondies qui incluent systématiquement des références bibliographiques, des notes de provenance et un commentaire détaillé.       A. B.

Aïcha Limbada, La Nuit de noces. Une histoire de l’intimité conjugale, Paris, La Découverte, 2023.

Le présent ouvrage aborde les « nuits de noces » en France au XIX^e siècle, un moment d’intimité mais aussi un événement rituel dans la vie des femmes et des hommes de l’époque. L’autrice, Aïcha Limbada, docteure en histoire contemporaine et membre de l’École française de Rome, étudie les pratiques nuptiales d’autrefois au regard de problématiques contemporaines en abordant les questions de genre, de consentement, de domination masculine et de virilité. Un regard actuel, donc, augmenté d’importantes sources et archives telles que des traités scientifiques, des manuels destinés à l’éducation des jeunes filles, des cartes postales grivoises ou encore des archives du Vatican. Cet ouvrage offre des enseignements éclairants, révélateurs d’enjeux sociétaux majeurs du XIX^e siècle.       J. L. G.

André Habib, Louis Pelletier et Jean-Pierre Sirois, Le Cinéma dans l’œil du collectionneur, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2023.

Cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur le rôle méconnu des collectionneurs de cinéma, grâce auxquels de nombreuses archives cinématographiques échappent à la destruction dans la première moitié du XX^e siècle. Les inventaires permettant d’authentifier la production et les provenances sont rares. Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, sauve ainsi des pans entiers de pellicules et d’appareils cinématographiques pour constituer son musée.
Le film Paris 1900, prix Louis Delluc en 1947, est un « film de montage » qui révèle ces collections retrouvées et qui doit beaucoup à Langlois. Nicole Vedrès, assistée par Alain Resnais, réalise ce film à partir d’archives en regroupant les photogrammes par sujets et par expressivité : influences, artistes et modèles, atmosphères, hommes et femmes ; puis par rapprochements formels. Paris 1900 est constitué d’archives filmées issues de fonds de collectionneurs qui restituent l’histoire sociopolitique ainsi que l’histoire des arts et des pratiques culturelles de la Belle Époque, dont il capte l’atmosphère.             V. P.

Alain Navarro, 1945. Le Retour des absents, Annette Wieviorka (préf.), Paris, Stock, 2015.

La gare d’Orsay est devenue en 1945 le plus important centre d’accueil pour les hommes et les femmes de retour d’Allemagne, prisonniers de guerre, déportés, victimes juives, requis du travail obligatoire (S.T.O.), « malgré nous » alsaciens et mosellans. La gare d’Orsay est rejointe par la caserne de Reuilly et l’hôtel Lutetia dans cette entreprise : ce sont deux millions de rescapés qui ont ainsi été pris en charge entre le printemps et l’été 1945.
Cet ouvrage, issu des archives de photographies et de récits de l’Agence France-Presse, nous révèle le difficile retour à la normalité des revenants dans la société de l’immédiate libération, l’incompréhension face à l’indicible, la tentation d’oublier au plus vite. Cette mémoire des images et des récits nous plonge dans ces lieux que nous foulons ou que nos regards croisent chaque jour, pour ne pas oublier ces femmes et ces hommes qui les ont occupés de façon transitoire mais qui sont un marqueur puissant de notre histoire commune.       L. B.